FEMMES D’ÉNERGIE


Les femmes font avancer la science mais restent souvent méconnues du grand public. Découvrez ces portraits de femmes aux trajectoires remarquables lors d’interviews inédits recueillis par Science Action Normandie à l’occasion de l’exposition Luminopolis. Percez les mystères de l’énergie en Normandie. 

À la rencontre de 

Sandrine AUBRUN





Enseignante-chercheuse à l’École Centrale de Nantes, spécialisée en mécanique des fluides. Ses projets de recherche visent à limiter les pertes de production d’énergie dues aux interactions entre les éoliennes. 

Qui êtes-vous ? 


Je suis enseignant-chercheur (enseignante-chercheure ? enseignante-chercheuse ? à ma connaissance, aucun équivalent féminisé officiel …) à l’École Centrale de Nantes depuis 2017. Comme son nom l’indique ce travail consiste à combiner des activités d’enseignement et de recherche. Ma spécialité est la mécanique des fluides, que j’enseigne à des élèves ingénieurs et à des étudiants de masters internationaux. Mes activités de recherche se sont, au fil des années, focalisées sur l’énergie éolienne. Je suis rattachée au Laboratoire d’Hydrodynamique, Énergétique et Environnement Atmosphérique (LHEEA) et dans ce contexte, l’éolien en mer, voire flottant, est au cœur de nos recherches.


Avant cela, j’étais enseignant-chercheur à l’université d’Orléans (Polytech Orléans / Laboratoire PRISME) pendant 13 ans. Encore avant cela, j’ai vécu 4 ans en Allemagne, à Hambourg, où j’ai, pour la première fois, travaillé sur des applications environnementales (dispersion de polluants et d’odeurs). 

C’est à ce moment-là, je pense, que mon envie première de rejoindre les rangs de l’aéronautique s’est étiolée.

En effet, j’avais fait une partie de mes études universitaires à Toulouse pour me rapprocher de l’industrie aéronautique. 






Un évènement marquant de votre carrière ? 


Sans hésiter, la soutenance de thèse de doctorat. Cette ambivalence entre un sentiment de vivre une journée vraiment pas comme les autres, avec un niveau de pression très élevé, et un sentiment d’en être arrivée là par un processus continu, finalement assez banal.

C’est également le seul évènement professionnel qui devient aussi un évènement familial, où la famille assiste, sans trop rien comprendre au contenu, à l’aboutissement d’un processus de formation long et fastidieux. La fierté parentale est alors clairement palpable. 




Ma soutenance de thèse de doctorat le 28 janvier 1998 : une jeune femme évaluée par un jury exclusivement masculin. Aujourd’hui, il est obligatoire d’avoir au moins un homme ou une femme dans les jurys de thèse.  Dans ma spécialité, nous ne sommes que 9% de femmes professeures, … Les sollicitations sont donc très fréquentes…

Qu’est-ce qui vous a mené vers ce domaine de spécialité ? 


Si l’on parle de la mécanique des fluides, c’est une succession de choix de spécialisation vers les matières qui me plaisaient le plus. Je n’avais pas développé de stratégie de carrière spécifique. Si l’on parle de l’énergie éolienne, c’est la possibilité de travailler sur des problèmes aérodynamiques complexes tout en contribuant à des solutions environnementales utiles pour la société. 

Quels sont les enjeux de votre travail ? 


En tant qu’enseignant-chercheur, nous devons apprendre à être multitâches et avons souvent plusieurs responsabilités administratives ou de conduites de projets simultanées. Un des enjeux de nos métiers est de ne pas se perdre dans toutes ces activités, indispensables mais extrêmement chronophages, au détriment de nos fonctions premières: enseigner, conduire des recherches et former les jeunes générations à la recherche.

Mon activité actuelle est focalisée sur l’éolien et l’éolien flottant en particulier. L’éolienne flottante – prototype FLOATGEN est la première éolienne en mer en opération en France et elle est accueillie sur le site d’essais en mer SEMREV de l’école Centrale de Nantes / LHEEA ! C’est donc pour nous un formidable observatoire du comportement d’une éolienne flottante et de son sillage. 


© Centrale Nantes

Donnez un exemple d’application de votre travail. 


Mon champ applicatif est centré sur l’éolien. J’axe une partie de mes projets de recherche sur le problème de pertes de production d’énergie éolienne dues aux interactions entre les éoliennes. En effet, les éoliennes extraient une partie de l’énergie du vent, ce qui peut pénaliser une autre éolienne située dans son sillage direct. Comprendre comment le sillage se développe derrière une éolienne, comment ce sillage se comporte en fonction des conditions météorologiques et surtout comment il se résorbe, est essentiel pour estimer avec fiabilité la production d’énergie attendue par un parc éolien. 

Selon vous, quel est le plus grand défi auquel nous devons faire face aujourd’hui ? Et en quoi votre recherche contribuerait-elle à le relever ? 


Sans originalité, je répondrais le développement durable, ou comment réconcilier le développement économique et le respect de l’environnement mais aussi de la condition humaine.

En travaillant à l’augmentation de l’efficacité des parcs éoliens, nous contribuons à notre humble niveau à une transition énergétique plus soutenable.

Que diriez-vous pour convaincre une jeune fille de s’engager dans la même voie que vous ? 


Pour cela, il faudrait déjà que je sache ce qui décourage aujourd’hui, en 2020, une jeune fille de s’engager dans la même voie que moi! 

Le déclencheur a été pour moi le goût pour les sciences physiques au lycée. Je n’ai jamais eu à douter que je pouvais en faire mon métier car personne dans mon entourage ne m’a jamais dit que ce n’était pas pour moi. Peut-être que la réponse est là: c’est les parents qu’il faut convaincre que cette voie est tout à fait accessible et enviable pour les jeunes filles.

J’aurais peut-être un argument pour les jeunes filles plus militantes: c’est un domaine où il faut encore faire bouger les lignes sur la parité mais qui bénéficie d’un environnement propice à ce changement de mentalités. Le milieu de la recherche a de tout temps intégré les bienfaits de la diversité et n’est donc pas difficile à convaincre du bien-fondé des démarches visant à atteindre une certaine parité.

Quel est votre vision/définition de la science ? Et son rôle dans le monde actuel ?

 

La science vise à donner des réponses à toutes nos interrogations sur le monde qui nous entoure et à trouver des solutions à des problèmes complexes. Ces réponses ou solutions sont souvent construites à bases de modèles, d’hypothèses, d’approximations; elles ne relèvent donc pas de la science infuse mais se basent sur un état des connaissances scientifiques à un instant donné. La science trouve ses fondements dans le débat, la confrontation d’idées.

Le monde actuel attend des vérités que la science ne peut lui donner. Aux scientifiques de leur montrer pourquoi leur travail est indispensable pour le progrès de nos sociétés mais ne fait pas d’eux des savants omniscients. 

Une personne qui vous inspire et pourquoi ? 


Je n’ai jamais développé de fascination ou été réellement inspirée par une personnalité scientifique reconnue, voire célèbre. 

Le parcours d’une femme comme Simone Weil m’impressionne et me rassure aussi. Voilà l’exemple d’une femme, pourvue d’une ambition professionnelle inhabituelle chez les femmes de cette époque mais de tempérament discret et posé, qui a su forcer son destin et a fait bouger d’une façon remarquable les lignes de la condition féminine en France.

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