FEMMES D’ÉNERGIE
Les femmes font avancer la science mais restent souvent méconnues du grand public. Découvrez ces portraits de femmes aux trajectoires remarquables lors d’interviews inédits recueillis par Science Action Normandie à l’occasion de l’exposition Luminopolis. Percez les mystères de l’énergie en Normandie.
À la rencontre de
Sylvie
HEBERT
Qui êtes-vous ?
Je suis directrice de recherche au CNRS en physique de la matière condensée, dans le domaine des propriétés électroniques. J’ai suivi un cursus universitaire au Havre, à Caen puis à Paris, avec une spécialisation en M2 en physique des matériaux. J’ai ensuite effectué mon doctorat au laboratoire CRISMAT à Caen sur les supraconducteurs. Après deux stages post-doctoraux en Angleterre et Belgique (Londres puis Leuven), j’ai été recrutée au CNRS et travaille depuis 2000 au sein du laboratoire CRISMAT sur des nouveaux matériaux de type oxydes, sulfures ou séléniures principalement. J’étudie leurs propriétés magnétiques et leurs propriétés de transport, en particulier le transport thermoélectrique. C’est un travail expérimental, effectué en collaboration avec mes collègues chimistes du solide, et avec des collaborations nationales ou internationales.
Directrice de recherche au CNRS en physique de la matière condensée, dans le domaine des propriétés électroniques.
Un évènement marquant de votre carrière ?
D’un point de vue très pragmatique, ce serait l’obtention de mon poste au CNRS. J’ai eu la chance de pouvoir obtenir un poste de chargé de recherche, après seulement 2 ans de stage post-doctoral, ce qui était encore possible en 2000, mais rare à l’heure actuelle. La situation aujourd’hui est beaucoup plus dure.
Qu’est-ce qui vous a mené vers ce domaine de spécialité ?
Au lycée, après ma Terminale C, j’étais plutôt hésitante pour mon orientation, intéressée par différentes matières (physique-chimie, histoire-géographie et langues étrangères principalement). Pour différentes raisons, j’ai finalement suivi des études généralistes de ‘Sciences et Structures de la Matière’, et j’ai eu la chance de découvrir deux options dès la L2 en ‘Chimie des matériaux’ et ‘Mécanique quantique’ qui m’ont donné envie de poursuivre dans cette voie. Les choix d’un M1 spécialisé en matière condensée à Caen puis d’un M2 en Physique des Matériaux à Jussieu se sont ensuite faits naturellement.
Donnez un exemple d’application de votre travail.
Les propriétés thermoélectriques étudiées permettent de sonder la nature du matériau et les mécanismes microscopiques du transport de courant et de chaleur. Mon travail est très fondamental, mais ces matériaux peuvent avoir des applications dans le domaine de la récupération d’énergie. Les matériaux thermoélectriques permettent de transformer la chaleur en électricité via l’effet Seebeck, et vice-versa l’électricité en différence de température via l’effet Peltier. Par effet Peltier, il est possible en appliquant un courant électrique de refroidir ou chauffer, et il existe déjà des applications comme des glacières à effet Peltier ou des sièges de voiture chauffants ou rafraîchissants. Pour l’application ‘inverse’ de génération de courant à partir de chaleur perdue via le coefficient Seebeck, les applications existent pour le moment dans des domaines de niche (spatial, par exemple dans les sondes de type Rover sur Mars, ou des applications nomades dans le désert, la montagne, etc. dans des espaces loin de sources classiques de courant). Une augmentation du rendement de cet effet et/ou une diminution du coût permettraient d’élargir la gamme des applications, et de valoriser les sources de chaleur perdue (par exemple sur des cheminées, la chaleur du corps humain, la chaleur en sortie de pot d’échappement…).
Quel est votre vision/définition de la science ? Et son rôle dans le monde actuel ?
La science n’est pas ‘à la mode’ à l’époque actuelle, même s’il existe toujours des domaines attractifs pour les étudiants (ce n’est pas vraiment le cas de la physique malheureusement). Pourtant la science est présente tout autour de nous, avec des applications très directes dans notre quotidien. Faire des études scientifiques permet de mieux comprendre le monde qui nous entoure et de réaliser également les limites de nos connaissances.
Que diriez-vous pour convaincre une jeune fille de s’engager dans la même voie que vous ?
Je ne sais pas vraiment quoi conseiller dans le domaine de la recherche où les postes sont malheureusement rares à l’époque actuelle, et la situation est très différente de celle des années 1990. Mais je dirais que si elles sont fortement intéressées, motivées par un domaine, et ouvertes d’esprit, il ne faut pas hésiter à se lancer. L’orientation se fait aussi via les rencontres avec des matières ou des enseignants marquants. En tout cas, il ne faut surtout pas se censurer sous prétexte d’être une fille.
Quels sont les enjeux de votre travail ?
Je travaille au sein du laboratoire avec des collègues chimistes du solide qui synthétisent de nouveaux matériaux dont j’étudie les propriétés. Il s’agit de comprendre le lien entre les propriétés mesurées (magnétisme, transport électrique, transport de la chaleur et propriétés thermoélectriques), la nature des atomes constituant le matériau (exemple: fer, manganèse ou cobalt, oxygène ou soufre) et l’arrangement particulier de ces atomes que l’on appelle la structure cristallographique. Nous cherchons à optimiser le transport électrique et le transport de chaleur, et à modifier la nature du magnétisme pour qu’il joue un rôle positif sur ces coefficients de transport.
Selon vous, quel est le plus grand défi auquel nous devons faire face aujourd’hui ? Et en quoi votre recherche contribuerait-elle à le relever ?
Je suis bien sûr consciente des enjeux environnementaux actuels autour de l’énergie et la thermoélectricité s’insère directement dans une telle problématique. Mais au-delà de ces enjeux, il me semble qu’il est important de former dès le plus jeune âge les enfants pour qu’ils acquièrent des notions scientifiques de base, du bon sens tout simplement, des notions essentielles pour mieux comprendre le monde qui les entoure, et surtout qu’ils utilisent ces bases pour pouvoir développer leur sens critique.
Une personne qui vous inspire et pourquoi ?
Il n’y a pas une personne qui m’inspire, mais plutôt des personnes que j’ai eu la chance de rencontrer (au lycée, à l’Université ou dans les laboratoires où j’ai travaillé) et qui m’ont permis d’en arriver où je suis. Par rapport à la place des femmes, je me rends compte à présent qu’au lycée nous avions des enseignantes en sciences et une proviseur extrêmement respectée et plutôt crainte, et jamais nous n’aurions remis en cause leur légitimité en tant que femmes. J’ai ainsi eu la chance de ne jamais me poser de questions sur mes études, si elles étaient ‘faites ou pas pour une fille’. De même à l’Université, j’ai eu de nombreuses enseignantes marquantes (et presque à parité dans mon M2 de physique des matériaux) et l’aspect homme/femme n’a jamais été important pour moi, c’est la qualité des cours qui faisait la différence.